Portrait de Rémy Héritier

  • FLORENT DELVAL – mouvement.net – 2009

Aux aguets…
Retour sur l’œuvre du danseur et chorégraphe Rémy Héritier

source : Les éditions du mouvement // date de publication : 10/06/2009 // 5514 signes

C’est en 2005 que Rémy Héritier, jusqu’alors interprète, a commencé à créer ses propres pièces. Son œuvre naissante, qui pose le problème du renouveau de l’écriture chorégraphique après une période faste, est emblématique d’une génération émergente qui se cherche, entre continuation et rupture, et se pense perdue au milieu d’une terre épuisée.

Deux jeunes aventuriers explorent un espace ouvert… ou peut-être sont-ils là pour se battre en duel (Arnold versus Pablo(1) nous indique le titre) ? Ces esquisses de trame, c’est un simple objet, un couteau porté à la ceinture, qui les active. Mais ce signe n’est que le fantôme de lui-même : cet objet sera à peine utilisé, deux ou trois fois, et surtout, sans qu’il n’y ait de conséquence ; comme un trait sur une surface immaculée s’efface peu à peu face au reflet du blanc aveuglant.

Les personnages de Rémy Héritier évoluent dans un paysage vidé et interagissent de la manière la plus basique : ils s’affrontent ou ils font la ronde.

Il fait donc le même constat que ses contemporains et se débat comme eux dans une ère de l’après (après la narration, après la représentation…). Pourtant, il choisit de ne pas formuler cette évidence, mais de l’expérimenter au travers de propositions chorégraphiques. Il ne pointe pas du doigt ni ne désigne de la voix. Par ce mouvement, il prendrait de la distance, une distance même minime, celle que l’on crée quand on parle du théâtre depuis le théâtre. Il choisit au contraire d’explorer le désert à pied, de l’habiter et non de le survoler. En d’autres termes, le travail se situe au niveau du corps du texte et non du métadiscours.

Rémy Héritier a fait ses classes chez une génération de chorégraphes pour qui l’idiotie était utilisée comme levier contestataire(2). On pense ainsi à cette superproduction absurde où des explorateurs sautaient d’un hélicoptère pour explorer le territoire de leurs propres limitations : This is an Epic (2003) de Jennifer Lacey était alors une pièce qui cristallisait les grands courants du début de cette décennie.

Mais Rémy, courageux ou inconscient, a quitté le groupe, dérive dans un paysage ouvert et s’est enfoncé dans des territoires encore plus désertiques(3) : presque plus de scénographies – ou alors en creux, ne servant qu’à activer un horizon ou un hors-champ.

Dans ce processus de raréfaction, les corps ne sont pas plombés mais, au contraire, allégés. Certes, les chorégraphies d’Héritier convoquent des figures d’empêchements ou de heurts, mais elles n’exposent jamais des corps qui s’effondrent sur eux-mêmes. Même s’il n’arrive jamais à quitter le sol, le corps du danseur sautille. C’est même une figure récurrente de son écriture. Si le sol s’est appauvri, les corps ne sont pas épuisés. C’est le paradoxe de la génération de chorégraphes émergents à laquelle Héritier appartient.

Sans qu’elle ne cultive la rupture, il y a toutefois fort à parier que son œuvre encore naissante échappe au poids de ses influences par sa vitalité. Le titre même de This is an Epic contenait encore cet acte de désignation et était, de plus, une affirmation close. Atteindre la fin du Western est un infinitif, donc un verbe à conjuguer, une action à réaliser. Il ne suffit plus d’affirmer. Par ailleurs, un lapsus pourrait facilement donner un sens tout autre à ce voyage : Attendre la fin du Western. Or, il s’agit bien d’atteindre, c’est à dire qu’il subsiste un mouvement malgré tout.

Mars 2009, je rencontre Rémy Héritier dans l’exposition Vides au Centre Pompidou. Nous déambulons dans les white cubes vides et immaculés en discutant de sa nouvelle pièce, Chevreuil, qui à l’inverse déborde d’images hétéroclites. Ce bref entretien servira peut-être à vérifier si l’on ne s’est pas aventuré dans une fausse piste en ce qui concerne un travail que d’aucuns trouvent hermétique.
C’est en effet l’un des principaux reproches qu’on lui adresse généralement : si ces travaux semblent reposer sur une logique interne indéniable, le spectateur se sent tenu à distance d’un fonctionnement qui ne lui sera jamais révélé.

Le problème, c’est qu’on n’arrive plus à se souvenir pourquoi une telle esthétique, qui cherche en fait l’ouverture la plus totale de l’œuvre, fut un jour nécessaire. En nous montrant, dans Chevreuil, des images semblant aléatoirement tirées de Google, ne dresse-t-il pas le portrait d’un monde où les informations et les documents sont déjà totalement ouverts à toute interprétation ?

Comment peut-il alors encore en étendre le sens et surtout dans quel but ? C’est alors que nous arrivons dans la salle d’Yves Klein et là, l’évidence : Héritier, comme Klein, font partie de ces artistes qui cherchent à créer les conditions d’une apparition. Alors qu’il qualifie sa pièce de « documentaire », il se rangerait donc plutôt dans la catégorie des cinéastes qui cherchent à capter le Réel plutôt qu’à le construire. Dès lors, on comprend l’inconfort du spectateur aux aguets, les yeux écarquillés et la nuque tendue, qui malgré tous ses efforts ne verra peut-être jamais le chevreuil traverser la route.

Chevreuil sera présenté au Théâtre de l’Oiseau-Mouche – le Garage, à Roubaix, les 12 et 13 juin, dans le cadre du festival Latitudes Contemporaines.

1. 2005, interprété par Rémy Héritier et Loup Abramovici.
2. Il a dansé entre autres avec Loïc Touzé, Mathilde Monnier, Laurent Pichaud…
3. Une stratégie de la promenade et de la dérive qui prend concrètement forme dans le projet de recherche Campagne(s) ?.

Florent DELVAL

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