Le pourvoyeur d’espaces
GERARD MAYEN à propos de Percée Persée – mouvement.net – 19 février 2014
Dans Percée Persée, Rémy Héritier bat en brèche cette représentation très installée de l’espace, qui consiste à l’imaginer sous la forme d’un volume stable.
Pendant d’assez longues minutes au début de Percée Persée, le plateau de scène reste vide de présence humaine. Est-ce à dire qu’il s’agit d’un espace vide ? Non. Il est percé par un jeu de douches et balayages lumineux divers et successifs, qui l’habitent méthodiquement. Voici donc un espace lamellé et percé d’attentes, tant le référent spectateur appelle irrépressiblement une action dès qu’un cercle lumineux se dessine sous le regard.
Il est alors loisible de mieux apprécier le paysage d’un espace offert et déjà frémissant. On en remarque le pourtour, cerné de rideaux de bords et fond de scène, mais disposés de biais, et pour l’un des pans coupés à mi-hauteur ; par ailleurs laissant envisager le passage ménagé derrière eux. Ces quelques variations à l’égard des règles convenues du pendrillonage produit un appel mental, embrayent sur un potentiel de dramatisation de l’espace même qu’ils architecturent. Enfin on remarque une enceinte de diffusion du son, posée à vue à même le plateau, pour l’heure muette, excitant d’autant les attentes.
Tout est alors extrêmement sobre, net et étudié ; mais déjà opérant pour tisser avec la salle mille liens d’attention et de suggestion. Percée Persée a en fait déjà débuté, comme un poème d’articulations différées de présences, conjuguant les puissances du son, des volumes et d’une incarnation humaine.
Rémy Héritier s’avance. Très sobre lui aussi. Un paradoxe ne cessera d’animer sa danse : autant son geste paraît économe, sec, dénué de toute emphase et encore moins décoration, autant c’est malgré tout à profusion qu’il paraît en développer, patiemment, les motifs. On lui trouve une force à rebours, qui rappellerait un travail d’eaux-fortes.
De peu de pas, à la juste croisée de ses verticalité et horizontalité, ce danseur creuse l’espace avec lequel il fait corps, paraît toujours conscient d’en arpenter les mesures, en remontant gravement vers lui-même des segments fléchis de membres, des jambes ascencionelles à la verticale vers son menton, avec nettes flexions de buste, ou pliés latéraux, dans une studieuse énergie de la trace, géographiquement ancrée dans des motifs croisés au sol, presque rosaces, qu’agacent à peine quelques accents soudain plus marqués.
Quelque chose se suspend dans cette écriture assurée ; mais s’accumule aussi. Motif après motif, relances après relances, retours après retours du danseur qui n’hésite pas à disparaître à la vue pour parcourir les bords et arrières de scène, peu à peu le regard pense reconnaître un geste déjà aperçu, retrouver une coordination déjà expérimentée. Une mémoire est en train de s’activer dans l’instant de l’acte, dont n’est pas absente un effet de persistance rétinienne.
Ce danseur sculpte dans la masse d’espace, y sectionne et en arrache tel copeau, telle pellicule, et cela se joue dans une globalité de regards en partage. Il y aurait là comme une transe gelée, servie par un derviche qui évoluerait en carré, et presque à l’arrêt. Mais tout de même obséderait. L’espace entier vibre à cet échange (attentes, absences, supposés).
Mais on allait oublier un acteur essentiel. Persée Percée est – humainement parlant – un duo en fait : la condensation et fluctuation de ses matières d’espace sont tout autant pétries par les sons qu’y injecte, selon des principes analogues, le guitariste Eric Yvelin.