le document
- Insert dans l’installation Tirana, 2011 de l’artiste Alexander Schellow.
Cher Alexander,
Tu trouveras ici les quelques notes que j’ai rassemblées sur cette question de document qui active chacune de nos pratiques.
La notion de « document », jusqu’alors contenue en germe dans mon travail chorégraphique sous une forme silencieuse, non définie, a fait son apparition lors des répétitions pour la création de ma pièce Chevreuil, en 2008. En d’autres termes, le « document » s’est imposé au moment où l’écriture de Chevreuil se déterminait. Depuis quelques années déjà, j’articulais mon travail de recherche autour de notions mêlant celles d’archive, d’histoire, de mémoire ou encore de sampling. En 2009, je cherchais à mettre à jour des processus pouvant rendre grâce au fait d’être sous influences. Autrement dit, de pratiquer une définition positive de cet être au monde — n’envisageant que peu de frontière entre soi et son environnement, une approche contextuelle par essence — via des processus artistiques. J’étais artiste associé aux Laboratoires d’Aubervilliers, invité par la directrice d’alors Yvane Chapuis à chercher ce que nous avions à chercher à condition d’en proposer une forme publique, quelle que soit le format de cette publication.
Un des enjeux de Chevreuil était de donner à voir, dans une forme performative, l’acte créatif dans son volume. De montrer en même temps, sur un même plateau, les sources ayant initié une recherche et les résultats de cette recherche, partant du principe que ces deux pendants connexes mais habituellement séparés avaient à mes yeux un intérêt équivalent, dans leur forme et dans leur fond. Le fait que j’en sois l’auteur ou non ne devait pas constituer un obstacle à leur co-présence sur le plateau dans une forme aboutie qui, en définitive, porterait ma signature.
Au même moment, l’artiste britannique Jeremy Deller présentait au Palais de Tokyo l’exposition From One Revolution to Another. Cette exposition, fidèle à son travail, réunissait des objets pouvant être définis pour certains comme des œuvres d’art, pour d’autres comme des objets d’artisanat, des documents scientifiques etc… Ce partage de l’espace rendait floues et inopérantes les lignes de démarcation généralement attribuées aux différentes formes de la création et dans ce cas précis, le partage savant / populaire, scientifique / artistique.
C’est cette manifestation de la dimension anthropologique de l’art qui m’a soufflé l’autorisation d’opérer un changement — d’abord sémantique — dans mon propre travail. J’ai immédiatement décidé de changer ma façon de nommer les matériaux qui le constituaient : une section écrite de pièce alors généralement appelée séquence serait dorénavant nommée document et définie comme tel. Ma définition de document restait volontairement sommaire afin d’en permettre un usage le plus vaste et le plus opérant possible : un document est un objet qui permet une meilleure compréhension d’un autre objet. Cette définition — que je trouve encore active aujourd’hui — ouvrait donc grand les portes à des processus d’association, de distinction et par conséquent d’une plus grande possibilité de manipulation et de transformation des formes et de leurs contenus.
Le document n’est donc pas cet objet bénéficiant seulement de propriétés d’enregistrement mais bien d’avantage un objet actif, vivant, autonome, qui produit fond et forme. Pareil à un écran de cinéma, le document est à la fois surface de projection et surface de réflexion. Une surface qui contient, reçoit et produit. A tout prendre Le document serait donc un lieu dans lequel il est possible de se tenir et de prendre position littéralement et poétiquement. Une pratique de l’in situ qui m’était inconnue venait d’émerger du travail lui-même. C’est ce que je continue d’expérimenter encore aujourd’hui.
Amicalement,
Rémy